dimanche 7 septembre 2008

C'est ça l'amour

Le souvenir est confus, étroit et sinueux comme les ruelles de cette vieille Médina. Tout ce qui enveloppait l'histoire n'était pas aussi clair, aussi précis que la beauté de son visage. Les événements de l'époque aussi importants qu'ils pouvaient l'être, n'avaient trouvé place dans ma mémoire saturée par l'éclat et la grandeur de ses yeux. Le décor était flou, les figurants n'avaient pas de visage, la scène se déroulait dans un brouillard qui auréolait son être, l'épargnait pour mieux mettre en valeur sa silhouette fine et gracieuse. Tout ce qui bougeait; gesticulait, était figé comme pour ne laisser apparaître que sa démarche naturelle mais combien majestueuse; tout ce qui pouvait marquer un mouvement , un rythme n'était perceptible tant la magie du roulis de ses hanches prévalait et paralysait tous les regards. Même la saison était indéfinissable si ce n'était ce vêtement négligé sans couleur ni forme qu'elle arborait et laissait voir tantôt une infime partie de ce qui se devinait être une superbe poitrine, tantôt un tracé ou un galbe qui dévoilait à la faveur d'une échancrure, des extrémités d'un exceptionnel façonnement.

Elle était très jeune. Elle habitait une maison très modeste qui côtoyait des Riad somptueux aux portes imposantes qui faisaient la fierté de cette ville impériale. Quand elle sortait de chez elle, le grincement de sa porte délabrée annonçait son apparition; flanquée de deux seaux , elle allait souvent chercher de l'eau à la fontaine de Ras Derb. C'était un moment privilégié pour tous les garçons du quartier qui stoppaient leurs jeux ou détournaient leurs itinéraires pour essayer d'échanger quelques mots , souvent en proposant de l'aider dans sa besogne. Elle déclinait toujours l'offre en détournant son regard tout en rabattant ses longs cils sur ses yeux qu'elle savait ravageurs. Devant son intransigeance et son attitude hautaine, les plus récalcitrants des garçons essayaient de noyer leurs frustrations en lui adressant des mots obscènes qu'elle feignaient ne pas entendre.

J'étais encore plus jeune et du haut de mon adolescence je subissais pour la première fois, à l'égard du sexe opposé, des troubles sensationnels qui n'avaient d'égale que les innombrables boutons tapissant un visage détesté qui était le mien.

Je la regardais, elle me regardait, je ne lui parlais pas, elle non plus. Je baissais les yeux et j'entendais le grincement de la porte de sa maison.
Chaque jour qui se levait, son nom cacophonnait dans mon esprit et me réveillait avec le délicieux projet de quitter la maison, de parcourir inlassablement le Derb à l'affut du grincement de la porte de sa maison.

Ma patience n'avait pas de limite tant chaque jour, à un moment toujours imprévisible, je pouvais la voir apparaître, que les garçons affluaient, que les gros mots fusaient; mais ce qui comptait le plus c'était le regard partagé dans le silence qui précédait le grincement de la porte de sa maison.

Un vrai bonheur, c'était ça l'amour.

Dorénavant mon cœur me servait à quelque chose, il palpitait bien, il palpitait utilement!

Mais vinrent les jours ou j'attendais vainement devant sa porte qui resta silencieuse , mon cœur palpitait autrement, désagréablement, puis se calmait comme pour me promettre des lendemains pleins de retrouvailles.

Cette alternance d'euphorie et de tristesse rythmée par ces rencontres hasardeuses, allait travailler ma mine, accentuer ma maigreur et affecter mes relations. Je boudais les appels aux jeux de mes copains; les maitres d'école malgré ma discipline et mon assiduité persistantes me reprochaient mon air distrait et mon attitude vaporeuse. Chez moi, j'évitais les membres de ma famille et recherchais l'isolement dans les endroits les plus reculés de la maison.

Mais la grande peine allait suivre des jours et des semaines, durant lesquelles la porte de sa maison cessa définitivement de grincer. Au dire des enfants qui n'avaient plus de raison d'interrompre leurs jeux, la belle ensorceleuse avait déménagé sans laisser d'adresse.

La peine aussi forte soit-elle; allait s'estomper progressivement jusqu'à disparaître. C'était la rançon à payer pour le baptême de l'amour. En prime le souvenir est resté indélébile.

C'était ça l'amour, le bonheur c'était trop tôt pour moi.



M.Guessous

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Excellent récit, j'ai vraiment pris du plaisir à le lire. Il est vrai que le thème est un peu traditionnel, mais cela n'enlève rien au charme de cette histoire. La leçon que cette dernière distille relève presque du sens commun : le premier amour n'est pas le plus heureux.

MG a dit…

Oui spyjones,le but rechérché c'était cela, donner du plaisir en remuant les sentiments; peu importe l'histoire, le thème,l'éssensiel c'est d'éssayer de faire vibrer les cordes!

Anonyme a dit…

@ MG : Jusqu'au dernier souffle de ton Essai, j'expectais l'apothéose en un regard appuyé, en un sourire dérobé, en un soupir avoué. Oser imiter l'indéfinissable, l'Amour !
Non pas l'ersatz que l'on se sert à soi même pour oublier et colmater la fissure de ce premier émoi...
Cet abandon non consenti car spontané.
Qui de nous ne l'a vécu seul(e) ?
La fée de ton héros élu s'en est allée vers une destination où, repus, ses tortionnaires, la retiennent encore captive...
La faute à qui ? A sa mère qui prit peur de la convoitise des voisins en chaleur et voisines en désharmonie.
Trésors d'innocence et berezina de volonté à naître, ce que tu peins dans mon imaginaire fait ressurgir l'enfance. Merci.

Fedwa a dit…

merci de nous propulser dans ton souvenir, de nous faire tomber dans l'enfance lointaine, sourire tristounet aux lèvres et pincement douceureux au coeur..
on l'a tous eu notre premier petit béguin signant la naissance de l'amour en prémices de douleurs et désirs...
il n'est pas si lointain que ça finalement! il n'est jamais loin puisque de toutes les tocades qui sculptent la forme et la force de nos coeurs, persiste le maigre mais résistant souvenir, de cette passion première, telle la première tentative d'écriture... le brouillon d'un amour...

Anonyme a dit…

@ yugurta: Chaque histoire, en dehors des vérités qu'elle est censée révéler, comporte des dessous qu'il faut essayer de mettre à jour. L'histoire ne se lit pas, elle se décortique, elle appelle à l'interactivité de l'esprit pour toucher le véridique. Les éléments que tu as ajouté donnent une dynamique à l'écriture du récit. L'acte d'écrire est incomplet et ne peut aboutir sans la démystification de la lecture!
Merci d'avoir contribué à la résurgence des souvenirs d'enfance.

@ waaayli: d' éternels enfants que nous demeurons avec moins de vigueur et d'arrogance certes mais avec plus de savoir et d'appréciation. Si nos désirs et nos sensations s 'émoussent avec l'age, ils gagnent en raffinement et subtilité; réalité ou simple résignation?

Anonyme a dit…

façile de parler mais difficile d'appliquer , c'est ça l'humain, egoiste...

Anonyme a dit…

Heureusement que le premier amour n'est pas le dernier.

Unknown a dit…

l'amour nèest pas ce quèon dit mais ce quèon fait

MG a dit…

Merci pour ta visite dramé